Nous existons.

J’ai regardé au loin longtemps, avant de savoir quoi répondre à ceux qui cherchent encore comment empêcher nos familles d’exister.

J’ai repensé à ces longs mois à entendre notre vie être débattue sur toutes les ondes. À mon coeur nauséeux quand on me tendait un prospectus vantant une maman et un papa. À mes yeux aveugles, quand la presse déroulait allègrement insultes et préjugés, sous prétexte que le débat était nécessaire.

J’ai revu ce garçon croisé il y a quelques mois. Seize ans à peine, un pull rose au slogan de la manif pour tous. Notre fille qui lui lançait des sourires aguicheurs, et ses yeux en forme de porte verrouillée. Il était bien là-haut, perché sur sa muraille de certitudes. Nous étions bien aussi en bas, dans notre monde réel, avec Romy et son rire en grelots.

J’ai relu cette tribune écrite il y a deux ans, où je disais – je ne suis personne, je suis n’importe qui. Je croyais encore que plaider encourageait la tempérance.

Et puis j’ai parcouru Twitter, les comptes des candidats en campagne, la vie dans tout ce que notre société crée de bêtise et d’auto-centrisme. J’ai rendu les armes. J’ai cajolé quelques instants ma colère intérieure, je lui ai murmuré qu’il existe encore tant d’êtres qui s’arrogent le droit de vouloir le monde à leur image. Je lui ai dit – va-t-en, car il n’y a rien ici que tu puisses faire.

Nous existons.

Sans remue-ménage, sans défilés sur le bitume nous existons, désormais, dans toute la banalité et toute la tendresse de nos foyers invisibles, nous existons.

Quand le soleil se lève et qu’il faut aller vite pour que chacune soit prête à dire bonjour au monde, nous existons.

Quand la journée défile entre réunions pour les unes, et ballades au parc pour les autres, nous existons.

Quand l’après-midi touche à sa fin et que les pas s’accélèrent, quand les retrouvailles dans le vestibule de la nourrice sont chargés d’amour, nous existons.

A l’heure de la dernière histoire, quand les lumières de la ville pépient à l’horizon et que la soirée appartient enfin aux adultes amoureuses que nous sommes, nous existons.

Va-t-en, ma colère, car il n’y a rien que tu puisses faire ici. Ceux qui croient protéger le monde en voulant repousser la famille que nous sommes se trompent de combat. Ils n’ont pas encore compris qu’il vaut mieux jeter ses forces dans la bataille du beau, dans celle d’une humanité plurielle, car il y a déjà beaucoup à faire.
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15 commentaires sur “Nous existons.

    1. Merci 🙂 c’est toujours difficile de parler d’un sujet comme celui-ci mais c’est pour ça que j’ai créé ce blog : tenter de donner une voix, même très confidentielle, aux familles banales que nous sommes 🙂

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  1. Je viens lire ici depuis quelques temps – avec timidité – je me veux discrète car j’ai le sentiment de vous regarder, ta famille et toi par une petite lucarne.
    Mon regard est tendre, quoique moins doux que tes mots de mère.

    J’ai moi aussi perdu en regards sur leurs panneaux bleus et roses, j’ai rogné mes ongles sur leurs étiquettes autocollantes, passé le balai à grandes eaux sur les dessins à la craie qui s’étalaient sur le trottoir.

    Peut-être que, finalement, ouvrir une lucarne sur la douceur, la franche netteté de votre bonheur – aussi banal, difficile, conquérant que chez toutes les autres familles – est plus efficient.

    Merci pour la poésie, la fenêtre ouverte sur ta réalité. Tu n’imagines pas le bien que te lire me fait, c’est plus cathartique qu’effacer des dessins battus à la craie.

    Belle vie à vous 3.

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    1. Comme tes mots me touchent… Mille mercis pour ces encouragements, à dire le quotidien d’une vie simple, folle, banale et tellement unique. Comme toutes les familles, tu as raison, et c’est grâce aux lectures bienveillantes comme la tienne que je trouve ici un bel espace de liberté pour la raconter 🙂

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  2. Vous existez, et effectivement, ces gens qui essaient de faire disparaître les familles comme la vôtre n’ont rien compris et se trompent de combat.
    Finalement, tous ces gens sont, je crois, rongés par la peur. La peur de quoi, je ne sais pas. Mais quand on lit de si jolies choses comme tu en écris ici, on se dit que la beauté du monde aussi existe, elle est juste plus discrète, plus silencieuse, mais elle existe.

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    1. Merci … Je repense à cette phrase de Glissant je crois : « vous assistez à la disparition du monde connu, mais ne vous inquiétez pas, ce qui se prépare sera tout aussi bien ». Quelque chose comme ça, pour dire que face aux pluriels du monde, les certitudes pèsent moins que la tolérance …

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  3. C’est superbe… J’aime les idées, qu’elles soient grandes ou petites, et les mots bien choisis. Quant à moi, je suis encore du côté de la colère. Parce que je n’ai pas de bataille à livrer au quotidien, je n’ai pas d’armes à déposer. Alors je balade mon incompréhension à la face de mes pairs et des qq parents hétéros qui ont imaginé un monde tellement verrouillé que l’obscurité les aveugle… Belle semaine à vous trois 🙂

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  4. Merci pour la poésie de vos mots pour évoquer votre vie quotidienne d’amoureuse, et de maman…de résistante aussi.
    Romy a une chance infinie d’être tant aimé…
    Nous aimons tout autant avec mon mari notre petite fille et notre grand garçon, et nous sommes heureux de leur apprendre au quotidien tout comme vous et votre chérie avec votre fille, â grandir, à aimer, à regarder le monde qui les entourent…avec bienveillance.
    Rien ne diffère entre ma famille et la votre…juste être ancrée dans ce monde les yeux grands ouverts.

    Plein de bonheur à vous trois

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  5. Un texte magnifique, une famille si belle, un parcours si difficile pour en arriver à en être une. Quelle force d’arriver à ne plus être en colère, bravo.

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