Je n’oublierai pas de t’aimer

Ma jolie S.,
 
Le soleil revient timidement ces derniers jours. Les visages s’ouvrent, les nuages semblent avoir été chassés par l’entrain d’une promesse. Un été à nouveau. Un été à Paris, quand on sait combien ses rues moins pressées sont agréables, et sa rumeur fleurie loin du tourisme habituel.
 
Je suis très triste ce matin, et je ressens en moi le règne indéfectible de l’espoir. Il y a cette absence innommable, depuis que tu nous a quittés le 22 juillet dernier, et que nous avons perdu d’un instant à l’autre la promesse d’une vie tous ensemble. Ta rencontre avec tes parents, que j’aime tant. Te tenir moi pour la première fois dans nos bras, te confier à l’étreinte timide, probablement hésitante de Romy. Tu es partie dans un silence, celui de ton papa au bout du fil qui aurait du m’annoncer la merveilleuse nouvelle de ta naissance, et qui, ne pouvant pas articuler un mot, m’a laissée l’interroger.
 
Est-ce que tu vas bien mon grand ? Est-ce que ta chérie va bien ? Est-ce que S. va bien ?
 
C’était l’été, nous venions de fêter le premier anniversaire de Romy. J’avais ouvert ce blog, lui faisant la promesse d’écrire le grand livre de son enfance. Un espace de liberté pour redevenir celle que je suis. C’était l’été et nous étions dans la ruelle qui a vu tout notre entourage célébrer notre mariage. Dans le silence de ton papa, j’ai compris que tu n’étais pas vraiment partie. Il n’y a dans la mort que les voyages qu’on lui prête. Tu étais loin, déjà, et tu avais sans doute plus existé dans nos coeurs affamés que bien des êtres croisés sur notre route.
 
Je t’ai écrit souvent ces derniers mois. J’ai écris dans ma tête, les soirs d’insupportable, j’ai écrit sur des lettres postées sans adresse, sur l’oreiller de Romy à qui nous parlons de toi, j’ai écrit sur mon fil Twitter, à toutes mes amies ou dans la paume de ma main. J’ai écrit, beaucoup, entre les lignes de ce blog. Mais rarement en te nommant, et jamais en ne livrant le chagrin inqualifiable qui a recouvert cet été, et les mois suivant, d’un manteau invisible.
Je ne voulais pas exposer publiquement ce qui me semblait être si intime.
J’étais terrifiée de faire mienne l’histoire de ton absence, alors que tes parents se battaient comme des gladiateurs pour affronter sa réalité sans cesse renouvelée.
 
Demain, nous nous réunirons pour la journée de sensibilisation au deuil périnatal. 
J’ai espoir qu’à force d’être ensemble, de bras ouverts et d’indulgences égrenés, tu reçoives cette lettre. Elle te dira ma jolie nièce que nous te sommes pour toujours fidèles. Que mon coeur de tante et de maman est fait de cris et de murmures, qu’entre les deux se tisse le fil invisible d’un amour persistant.
Elle te dira surtout qu’a-delà de toute apparence, après la ronde de l’enfance de Romy qui va si vite, ou dans le fond des poches sous nos yeux, à l’interstice des masques heureux qu’on se choisit pour affronter l’existence, il ne reste qu’une seule vérité : je n’oublierai jamais de t’aimer.
 
Ta tante 
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PS : Ici, à Polignano, nous avions écrit ton nom dans le sable à côté de celui de Romy. En plissant les yeux, je vois encore se dessiner sous les vagues la douce image de vos prénoms côte-à-côte. 

12 commentaires sur “Je n’oublierai pas de t’aimer

  1. Ton article me laisse émue, et sans voix, parce que tout est dit là. Qu’elle a été aimée cette petite…Et tes mots n’ont que plus de poids d’être dit par toi, la tante, l’extérieure un peu. Très touchant…

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  2. Quel article émouvant ! On y ressent la tristesse et la douleur de la perte, mais aussi et surtout la peur d’exposer son propre chagrin quand on se dit que celui des parents doit être mille fois pire !
    Merci pour ces larmes aux yeux de bon matin, cela remet les idées en place…

    Virginie

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  3. J’en ai les larmes aux yeux…on ne se rend pas toujours compte que la perte d’un enfant touche bien évidemment les parents mais également l’entourage.
    J’ai déjà parlé du deuil périnatal sur le blog, je ne l’ai pas vécu mais depuis que je suis maman, cela me bouleverse comme jamais.
    Courage à vous.

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    1. Merci beaucoup pour tes gentils mots, c’est toujours un peu difficile de parler d’une histoire dont on est pas les acteurs principaux, mais je ne regrette pas de l’avoir fait ici. Cela m’a apporté beaucoup de belles attentions…

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  4. Ton article est magnifique… Bien que le lire à 37sa fut un peu difficile… Je l’ai lu jusqu’au bout même si mon cœur est un peu triste en pensant à cette petite princesse… Et que me gorge reste serrée… Une pensée rempli d’amour pour ses parents… Et un grand merci à Picou Bulle qui m’a permis de decouvrir ton univers…

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    1. Mon cœur se serre en imaginant cette lecture pour toi, mais chaque histoire est différente et la grande majorité des naissances portent leur miracle. Je te souhaite la plus douce des fins de grossesses !

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