Nous nous soignons, Madame

Nous ne sommes pas des mamans qui donnent la main,
mais nous nous soignons, Madame.
Nous faisons voler la minie par dessus les flaques et les rebords des trottoirs.
Nous lui demandons de tenir l’arceau de sa poussette quand la foule gronde.
Nous la lâchons hilare sur les chemins forestiers aux mille obstacles.
Et nous écoutons son rire rebondir sur les courbes du vent.
Elle a souvent les cheveux emmêlés. De la terre sous les ongles.
Elle s’essoufle à arpenter le monde.
Elle ne nous entend pas toujours lui demander de rentrer.
Nous crions parfois, pour battre le rappel, Madame, mais nous nous soignons.
Nous marchons quand elle joue à chat sur les barrières du parc.
Nous attendons quand elle dévale les pentes,
et nous tenons prêtes à la hisser aux baudriers de nos bras.
Nous ne plaisantons pas, Madame.
En tous cas pas avec la liberté.
Elle a le feu aux joues, et des brindilles dans ses bottes.
Quand elle s’arrête elle bégaye, la bouche pleine des embruns du vent.
Sous ses paupières, c’est la fantasia de l’infini découverte.
La vie si grande, le monde si riche.
Le métro qui roule à mille à l’heure, les paysages avalés par ce vélo qui fend la route.
Et ses jambes qui la portent, ses mains faites pour toucher. Carresser. Modeler.
Nous ne sommes pas des mamans qui donnent la main,
mais nous nous soignons, Madame.
A grand renfort de bonheurs invisibles.

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