Aujourd’hui, nous avons dit au revoir à celle dont on ne parle jamais. Celle sans qui ni Oumi ni moi n’aurions pu conjuguer la maternité avec nos libertés. Celle qui nous a délestées de la culpabilité parentale de laisser notre enfant, celle qui distillait toujours un peu de douceur dans ses conseils, celle qui n’a jamais dit non quand nous courions contre les montres.
Comme beaucoup de femmes de sa profession, elle vient d’ailleurs. Elle est de cette génération où les immigré.e.s étaient cantonné.e.s aux métiers du soin. A l’invisibilité. À des emplois soi-disant non qualifiés. Mais moi je me demande quelle qualification plus grande il peut bien y avoir que celle de s’occuper de nos enfants ?
Elle s’appelle Baya. Elle élève les enfants des femmes actives que nous sommes pour que nous, biberonnées à l’ambition, puissions mener de front une vie familiale et une vie professionnelle. Elle s’appelle Baya, et elle a passé ces trois dernières années 50 % de son temps auprès de Romy. Elle l’a éduquée et accompagnée dans sa découverte du monde, du rêve, des défis, au moins autant que nous. Si notre fille est pétrie de joies et de confiance en elle, nous le lui devons au moins autant qu’à nous-mêmes.
Elle s’appelle Baya, et vous la croisez tous les jours. Au parc, au supermarché, dans le bus, au coin de la rue. Je lui ai confié ce que j’ai de plus cher. C’est un des choix les plus importants que j’ai faits de ma vie.
Elle ne vient jamais ici, elle ne saura pas à quel point je lui suis redevable. Elle est accrochée au ciel de mes admirations, et je lui donne rendez-vous dans quelques semaines pour lui raconter la rentrée de Romy.
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Quand je rêve un instant aux vies que nous voulons t’offrir, je vois des murs de pierre épais et des sentiers boisés entre la maison et l’école. Il y a du linge indigo, du thym et des fleurs de courgettes nourris au sol que tu arroserais chaque soir avec Oumi. Des soirées simples, le silence du monde penché sur tes paupières, et du temps, ce joyau, pour t’apprendre à vivre.
Ici le brouhaha des travaux parisiens brouille les heures. On court d’un bus à l’autre, on tente comme on peut d’éviter la touffeur nerveuse du métro. On fait les courses chez des revendeurs de profits. Et on oublie qu’au lieu du dernier dessin animé, il te reste des myriades d’herbiers à créer.
Ici, il m’est bien difficile de disperser la pollution du coeur. Je te raconte un rythme plus lent que j’appelle de tous mes vœux, je te dis qu’on ramassera des betteraves pour colorer tes draps, et qu’on fera du savon au sureaux pour remercier ta nourrice.
Tu dis maman, j’ai la fatigue dans les mains.
Je te réponds, mon ange, nous aurons plusieurs vies. Il faut apprendre d’abord à cultiver la ville, la lourdeur du devoir, le temps du travail nécessaire. Il faut apprendre à accepter, je m’y attele de tout mon coeur de maman appliquée.Un jour, nous serons prêt.e.s. Toi, nous, tes frères ou sœurs. Nous embrasserons la ville qui a beaucoup donné, nous aimerons toujours ses danses multicolores mais du lointain, rassérénées de cette vie plus calme et plus libre que nous pourrons alors rejoindre pour de bon.
Voilà ma promesse originelle : te rendre le temps disponible. Un matin, pouvoir enfin te dire : nous partons chez nous mon ange, la parenthèse citadine est close. Demain commence.
Toi, moi, nous, on ne part pas en vacances.
Nous sommes des gens normaux, nous avons acheté un appartement, nous avons choisi de rémunérer une assistante maternelle pour avoir l’esprit tranquille lorsque nous partons mener nos vies de femmes libres, nous tentons chaque jour de te donner tout ce dont tu as besoin. Alors la Nouvelle-Zélande, le Finistère ou même le bassin d’Arcachon, ce n’est pas pour cette année. Et pourtant. Est-ce que tu manques d’évasion, quand tu ouvres tes fenêtres ?
N’oublie jamais, mon ange, qu’être riche c’est choisir de voir que tu possèdes bien assez pour être heureuse. De la lucarne de ta chambre, je vois le monde entier penché sur ton enfance. La farandole des aubes brûlantes et la caresse salée des soirs de brise. Il y a tout ce qu’il nous faut, ici, sous l’aile d’une vie magique et ordinaire.
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