Cet enfant-là

Cet enfant-là, était celui du mois de décembre. C’était peut-être un garçon, ou peut-être une fille. C’était l’enfant aux prunelles enneigées, le troisième espéré depuis que nous tentions d’agrandir la famille.

Il arrivait d’un amour de dix-huit années lumières, il emergeait depuis deux ans et les premiers pas de notre grande.

Pour l’éclore dans mon ventre, nous avions du laisser Romy entre chien et loup chez sa nourrice, rouler sous la pluie dévorante jusqu’à Bruges et exposer mon corps, une fois de plus.

Pour l’arimer à mon port, nous avions entrelacé nos espoirs et serré nos mains. Nous n’avions plus vraiment les moyens de poursuivre la PMA. Nous avions des poches sous les yeux et derrière les discours optimistes, trop de brûlures à l’âme. Depuis la veille, cette bêtise entendue résonnait à mon inconscient : « si vous n’y arrivez pas, c’est peut-être que tu n’es pas prête. »

Celles qui ont tout, croient souvent qu’il y a du mérite à réussir. Alors qu’il n’y a qu’un hasard en forme de rendez-vous.

Cet enfant-là, représentait onze piqûres hormonales faites au petit soir dans notre cuisine, trois échographies endo pelviennes et un déclenchement d’ovulation par injection sous-cutanée. Il était dans mes hématomes, dans mes céphalées, dans la phobie des prises de sang qui commençait à poindre et sur chaque jour de mon calendrier entièrement soumis aux impératifs d’un cycle imprévisible.

Cet enfant-là, se lovait dans mes tissus dès les quatorze jours réglementaires.

Il était joie, et souffle retrouvé.

Il était battements supplémentaires sur nos coeurs.

Mais il était aussi prémonition, je repoussais la seconde prise de sang de confirmation comme pour garder en moi la fulgurance d’être deux, après tant d’attente.

Le 23 décembre, veille de notre fête familiale, j’ouvrais l’email qui statuait sur l’avenir précipité. Les taux stagnaient. Une parenthèse de deux semaines, et déjà il s’effacait à notre ciel.

Cet enfant-là, « partirait naturellement ».

Le 31 décembre, seule sur mon canapé, je lui disais adieu. Je pleurais un océan d’injustice. Comme toutes les femmes. J’épongeais des ruisseaux de sang. Comme toutes les femmes. Et je taisais la violence du jour. Comme bien trop de femmes.

Ceux qui savent, croient à de la pudeur. Celleux qui l’ont vécu, reconnaissent la mort.

La disparition d’une partie de nous, d’un avenir pensé pour son visage. L’anéantissement d’un élan qui semble naturel, mais qui nous avait demandé tant d’efforts, que j’acostais exsangue sur le rivage de notre couple.

J’avais entendu quelques mois avant cette phrase glaciale : « Ça va, nous l’avons toutes vécu. » J’avais songé une fois de plus à devenir sorcière, à sortir des lignes, à refuser définitivement de taire le féminin en moi. Et puis, je n’avais pas vraiment osé.

Il faut du temps pour oser dire – nous souffrons. L’enfant qui n’était pas encore un enfant, était déjà dans nos coeurs. Nous l’avons perdu comme on vous retire une promesse, et j’ai toute cette douleur millénaire qui flambe dans mon ventre. Combien de femmes font comme si de rien n’était ? Combien s’arrangent pour ne surtout pas déranger la société, combien n’ose pas poser un congé maladie ? Combien prétendent que ce n’est pas bien grave ? Combien n’en parlent même pas à leurs ami.e.s, à leurs familles ? Combien claironnent que ça ne fait pas mal ?

J’ai appris qu’il n’y a pas de fausses couches banales, et qu’on ne devrait jamais croire que ce qui est commun ne détermine rien. Avoir attendu, c’est déjà avoir aimé.

Cet enfant-là, sera toujours celui du mois de décembre.

D’autres sont venus, Romy et Noa éclairent nos vies. Mais je le garde en moi, comme un secret puissant, un manque, la graine d’un avenir qui n’a pas existé, et qui existe pour toujours au ciel de nos amours.

J’écris ici son rêve, et je dépose un baiser au front de notre éternité commune. Qu’iel veille sur chaque enfant parti.e, et sur chaque femme en peine.

3 commentaires sur “Cet enfant-là

  1. Merci pour ce magnifique texte. Les enfants qui ‘viennent après’ n’effacent jamais le souvenir de ceux qui n’ont pas ‘existé’, même si la grossesse n’a duré que quelques jours : une promesse d’enfant a existé, elle est perdue, elle sera pleurée désormais.

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  2. Très bel article…beaucoup d’emotions.
    J’en ai ecrit un sur le même sujet: Une grossesse après 3 fausse-couche. J’aurai aimé qu’on me dise que j’avais le droit d’angoisser, que jamais 3 sans 4 ca n’avait aucun sens. Ma fille est née, c’est elle que je voulais rencontrer, mais j’ai encore un peu de chemin a faire avant de lacher prise. Mon article est ici: leslionnes.co

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  3. Je viens de decouvrir votre blog et je tombe sur cet article… tant de résonnance pour moi car le 31 decembre 2018 a 22h30 je perdais aussi un petit bébé etoile a 7 semaines de grossesse il est parti sans laisser de traces physiologique mais au niveau psychologique ce fut plus long … en tous les cas merci pour vos mots qui ressemblent tant à ce que j’ai vecu… avec mon conjoint nous disons souvent 4 grossesses mais 3 enfants, Thelma est arrivée et m’a réconcilié avec beaucoup de choses concernant la maternité.

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